France 80

De Gaëlle Bantegnie, on ne sait que peu de choses : née en 1971 à Douarnenez (ce n’est pas fait exprès, je vous assure…), professeur de philosophie à Paris et jeune maman. France 80 est son premier roman. Roman, vraiment? Je ne sais pas si ce mot est vraiment adapté à ce qui se joue ici. Entre portrait minutieux et catalogue exhaustif de nos années 80 – fin du politique, début des années fric, publicité à gogo et destins qui n’en sont pas… – le livre de Gaëlle Bantegnie suit principalement deux personnages entre 1984 et 1989.

La première, Claire Berthelot, est une adolescente à tendance boulimique et maniaque qui emménage dans une maison faussement jolie d’un nouveau lotissement de la banlieue de Nantes. Sa vie en classe, ses copines, ses vacances chez Mémé à Douarnenez, les relations avec ses parents sur fond de barres Nuts et de dentifrice Teraxyl dont passées minutieusement en revue.

Claire sautille désormais de pièce en pièce, dévale les escaliers et se dirige dans la cuisine pour préparer son goûter. Elle dispose sur un plateau la boite cartonnée de chocolat Poulain, une brique de lait entamée, un pot de confiture à la fraise Bonne-Maman, des tartines et de la margarine et porte le tout sur la table basse devant la télé. Il est 16h, le générique de C’est encore mieux l’après-midi est lancé. En attenant Christophe Dechavanne, son animateur préféré, elle avale une cuillerée à soupe de poudre chocolatée qui la fait éternuer.

Le second, Patrick Cheneau, gourmette et costume de Tergal, est technico-commercial. Il vend des décodeurs pour la nouvelle chaîne – Canal + -, se la joue séducteur mais finit toujours par succomber aux charmes de Nadine, la coiffeuse qui veut ressembler à Madonna…

Il faut faire l’appoint. Patrick s’en fout, il introduit une pièce de 5 francs dans l’appareil puis s’allume une Marlboro en attendant que le gobelet blanc s’emplisse de café noir sans sucre. Dans son papier alu, le jambon-beurre qu’il est préparé à l’aube avant de prendre la route a ramolli. C’est la grande mode de la baguette industrielle, la pâte est livrée congelée, le boulanger n’a plus qu’à la faire réchauffer. La chaîne Brioche Dorée vient d’ouvrir un magasin cours de 50-Otages, ça exaspère Patrick, qui analyse le phénomène en termes de pain de merde et de concurrence déloyale à l’égard du petit commerce. En 2001, le consommateur lassé du caoutchouc se tournera sans hésitation vers la baguette Tradition.

Si le début du roman, avec ses références permanentes aux modes, aux produits, aux usages en cours dans les années 80 provoque une sorte de deuxième effet Kiss Cool sur le lecteur – une nostalgie au goût fade et frelaté (ben oui, c’est les années 80, ça sent le Banga…), la suite, elle provoque une espèce de malaise et d’ennui, qui sont peut-être les termes les plus adaptés pour qualifier cette décennie…

Mais, en raison du parti pris de l’auteur, qui a une écriture très distanciée et factuelle, on a davantage l’impression de passer en revue de vieilles publicité démodées, de revoir des films jaunis par les années que de lire un véritable roman. Le procédé est amusant mais il finit par lasser. Utilisé dans une longue nouvelle, il aurait fait mouche. Là, sur plus de deux cents pages, il perd de sa force.  Le style particulier adopté par Gaëlle Bantegnie lui permet de se démarquer – et de se faire remarquer dans la production de la rentrée littéraire – mais l’ensemble laisse une impression d’enlisement et on referme France 80 en n’étant pas certain de savoir où l’auteur voulait vraiment nous mener… Dans le mur des années 80?

France 80, Gaëlle Bantegnie, L’Arbalète Gallimard, 17 €

20 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. Aifelle dit :

    Le principe pourrait faire penser « aux années » d’Annie Ernaux. Mais les années 80 m’ennuient, ce ne sont pas les miennes et c’est le début de tous nos gros problèmes, alors je passe.

    1. Gwenaëlle dit :

      @ Aifelle : oui, quand on y repense, cette décennie était assez glauque…

  2. Joelle dit :

    Le côté « nostalgie » pourrait m’intéresser (et rafraichir ma mémoire ! mdr !) mais je ne suis pas sûre d’être tentée d’en lire 200 pages 😉

    1. Gwenaëlle dit :

      @ Joelle : c’est exactement ce que je reproche à ce livre. On se lasse vite des « procédés »…

  3. kathel dit :

    Comme Joëlle, je trouve que c’est sympa pour un article, une chronique dans un magazine, mais sur 200 pages ?

    1. Gwenaëlle dit :

      @ Kathel : oui, d’autant que le côté factuel de l’écriture n’aide pas à « entrer » dans l’histoire. On reste spectateur et le film finit par lasser…

  4. Richard dit :

    Non !
    Pas pour moi !
    Merci mon amie !

    1. Gwenaëlle dit :

      @ Richard : on est toujours content de voir une critique plutôt négative : c’est toujours trois centimètres de moins sur la PAL! Amitiés Richard! 🙂

  5. Laurent dit :

    J’ai fini aussi par me lasser après quelques sourires… Et puis finalement, il ne me reste pas grand chose de ce roman.

    1. Gwenaëlle dit :

      @ Laurent : c’est le risque avec ce genre de roman…

  6. clara dit :

    Ok zut, le thème me plaisit !

    1. Gwenaëlle dit :

      @ Clara : oui, c’est dommage…

  7. sylire dit :

    Hum, pas très tentant !

    1. Gwenaëlle dit :

      @ Sylire : pas vraiment, non… en plus les années 80, c’est pas très sexy, hein? 😉

  8. David Mourey dit :

    Bonjour. Au moins les choses sont claires. Pas de temps à perdre. Il y a sur ton blog bien d’autres chroniques sur des livres plus interessants. Alors …. A bientôt

    1. Gwenaëlle dit :

      @ David : je ne l’aurais pas mieux dit! 😉

  9. Leiloona dit :

    J’ai eu exactement le même ressenti que toi ! Son écriture m’a agacée !
    D’ailleurs, je n’ai pas fait de billet ! 😛

    1. Gwenaëlle dit :

      @ Leiloona : Bienvenue au club, alors! 😉

  10. Manu dit :

    Je ne suis pas friande des marques à la queu leu leu. Il y avait des choses plus intéressantes que ça dans les années 80, non ?

    1. Gwenaëlle dit :

      @ Manu : tout dépend du point de vue où l’on se place, effectivement. Au niveau politique, notamment, il y aurait beaucoup à dire… Et puis c’est là qu’ont été plantés les germes de notre époque actuelle…

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