Rien ne s’oppose à la nuit

rien-ne-s-oppose-a-la-nuitLes nombreux billets qui ont fleuri sur ce livre, l’année dernière, nous ont rendu l’histoire familière. Dans Rien ne s’oppose à la nuit, Delphine de Vigan retrace dans les grandes lignes et les petits détails la vie de sa mère, Lucile Poirier. Issue d’une famille tantôt bourgeoise, tantôt bohème, marquée par les drames et les épreuves, la mère de l’auteure a sombré dans la folie maniaco-dépressive à l’âge adulte, marquant à jamais ses enfants. Elle termine sa vie seule, brisée, anéantie.

Pour réaliser ce récit, Delphine de Vigan s’est appuyée sur les archives familiales, sur les entretiens qu’elle a menés avec les membres de sa tribu. Au fil du récit, elle s’interroge sur ce qui la pousse à faire ce travail de mémoire, cette sorte de curée née sur le terreau de la culpabilité et de l’envie de comprendre.

J’ai pris ce livre dans sa version audio. Je dois avouer que j’ai passé les derniers chapitres, tant j’étouffais sous ce catalogue de malheurs, de tourments, de maladies qui semblent s’abattre sur cette famille comme une malédiction. Je n’en pouvais plus de cette atmosphère de chagrin et de drame.

J’ai du mal à cerner ce que j’en ai pensé. C’est une histoire de famille, et comme telle, elle entre forcément en résonance avec chacun de nous puisque nous avons tous, dans nos placards, parfois enfouis sous plusieurs couches de boites, de vêtements et de souvenirs, des histoires tragiques, des hontes inoubliables et des tourments jamais cicatrisés.

Au final, je m’interroge surtout sur cette passion des auteurs /artistes français à explorer les tréfonds de leur propre famille. C’est, par exemple, Alexandre Jardin évoquant son grand-père collaborateur, et sa famille foutraque, ou encore Guillaume Gallienne qui décortique par le menu, et avec humour la haute bourgeoisie française à travers sa propre histoire et ses relations avec sa mère.

Les familles françaises auraient-elle quelque chose de si spécifique qu’il faille sans relâche les faire passer sous les lentilles du microscope? Seraient-elles emblématiques, et à ce titre vouées à servir d’exemples (ou de contre-exemples) pour le commun des mortels? A moins que qu’il ne s’agisse d’un caractère propre aux auteurs français, incapables de s’extraire de leur cocon (de leur nombril?) pour aller vers l’ailleurs, le général, l’universel et des histoires qui ne leur seraient liées en rien?

Je n’ai pas la réponse. Pour moi, ce dévoilement impudique a quelque chose de courageux, mais aussi de profondément narcissique. Dans le fond, il faut se croire bien important pour imaginer que ses propres histoires de famille sont susceptibles d’intéresser des milliers de lecteurs, non? L’exercice tient à la fois de la catharsis et de la thérapie. Et pour les éditeurs du coup médiatique et de l’incitation au voyeurisme.

L’ambivalence de ce genre de récit me laisse un goût douceâtre et amer. Comme une saveur de littérature frelatée.

Rien ne s’oppose à la nuit, Delphine de Vigan, Audiolib. (édité chez J.C Lattès)

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38 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. yv dit :

    Je ne suis pas spécialiste de la littérature étrangère, mais est-ce vraiment l’apanage des auteurs français ? Pour ce livre, j’avoue que je l’ai beaucoup aimé, j’aime bien ce personnage de Lucille et cette manière de la part de D. de Vigan de prendre la parole de temps en temps pour dire toute sa subjectivité. Pour moi, c’était plutôt une réussite, narcissique sans doute comme à chaque fois que l’on parle de soi mais le genre est casse-gueule est pas toujours maîtrisé, écueils qu’évite l’auteure

    1. Gwenaëlle dit :

      @ Yv : je n’ai pas une culture encyclopédique mais je lis aussi pas mal d’ouvrages en anglais (anglais ou américain) et c’est en regard de ces écrits que je trouve les artistes français bien empêtrés dans leurs histoires de famille. Je me trompe peut-être, il est possible que j’aie la vue déformée (je viens de changer de lunettes! 😉 ) Toujours est-il que j’ai du mal avec ces auteurs qui s’épanchent sur leur propre famille. Mais c’est peut-être justement parce que ça touche un point sensible chez moi? 🙂

  2. mesetageres dit :

    Je l’ai dans ma PAL et j’en ai entendu tellement de bien que j’ai hate d ele lire mais ton avis me laisse un peu perplexe…Une seule chose a faire pour trancher: le lire! 😉

    1. Gwenaëlle dit :

      @ Mesétagères : oui, le mieux est de se faire sa propre idée. J’ai vu aussi des billets enthousiastes sur ce livre et d’autres plus perplexes…

  3. kathel2 dit :

    J’ai repéré ce titre à sa sortie à cause de la citation de Bashung, mais quelques pages lues (dans Lire ?) m’ont suffit à constater que ce n’était pas pour moi…

    1. Gwenaëlle dit :

      @ Kathel : je dois dire que l’accumulation de suicides, maladies, problèmes familiaux est très très lourde! Pour moi, à ce stade, ce n’est pas un livre qu’il faut mais une thérapie!

  4. saxaoul dit :

    Derrière toutes ces histoires de famille, le lecteur ne se retrouve t-il pas ? Pour moi, ce n’est pas du narcissisme, c’est sans doute un besoin de l’auteur et chacun peut se retrouver dans ce que Delphine de Vigan raconte.

    1. Gwenaëlle dit :

      @ Saxaoul : si, justement, c’est ce que je dis dans mon billet : un texte sur la famille fait forcément vibrer des cordes sensibles en nous. Je m’interroge sur l’utilité et la multiplication de ce genre d’exercice. J’ai toujours un peu de mal avec les auteurs qui soignent leurs maux par livres interposés.

  5. Sandrine dit :

    Je n’aime pas cette littérature française-là, tellement individualiste. Je n’ai rien contre les gens qui racontent leur vie, mais il me semble qu’il faut savoir donner à son récit une part d’universalité où le lecteur saura trouver sa place. Dans des récits de misères comme ça moi c’est clair, je n’en trouve pas, et j’ai déjà assez à faire avec ma propre famille 🙂

    1. Gwenaëlle dit :

      @ Sandrine : je suis bien d’accord avec toi! 🙂

  6. aifelle dit :

    La littérature française est très nombriliste et a du mal à s’intéresser à ce qui va au delà de son petit périmètre, c’est vrai que l’exercice est difficile et casse-gueule, peu réussissent à faire un livre qui rejoint le collectif. Je n’ai pas lu celui de Delphine de Vigan, quelque chose me retient.

    1. Gwenaëlle dit :

      @ Aifelle : le problème, dans ce genre de livre, c’est qu’on ne sait plus où est la frontière entre réalité et fiction, entre déballage personnel et littérature. C’est ça qui m’ennuie.

  7. Asphodèle dit :

    J’avoue que j’ai ressenti exactement la même chose, encore plus avec le recul ! Delphine de Vigan a une jolie plume, mais ces histoires de famille (et quelles histoires dans son cas) me hérissent un peu, par principe, je suis contre ce déballage ! Même si elle a pris des pincettes, elle le fait quand même et dans ce « fait » c’est mettre tout le reste de la famille mal à l’aise. Thérapie ? A ce stade je pense qu’elle peut prendre un abonnement à vie chez un psy et encore, pas sûr qu’elle s’en sorte ! 😉

    1. Gwenaëlle dit :

      @ Asphodèle : à vrai dire, je n’ai pas compris le sens de sa démarche. Hommage? Fin mot de l’histoire? Culpabilité? Et est-ce que tout ça ne devait pas rester ce que c’était : une affaire de famille?

      1. Asphodèle dit :

        Ma lecture remonte un peu mais je me souviens avoir été gênée qu’elle nous parle de son travail d’écriture en même temps, j’avais trouvé ça hors propos ! Quant à la démarche elle-même, je trouve ça facile dans le sens où elle s’est mise en position inattaquable et facile aussi de tirer des larmes de n’importe qui quand on sait que c’est vrai…maintenant si tu me demandes si je suis d’accord, je te répondrais clairement « non » ! Les affaires de famille se règlent en famille pas sur la place publique (quand on n’est pas une femme « publique » à la base) ! 😉 Mais chacun son idée là-dessus et le voyeurisme joue à fond…

      2. Gwenaëlle dit :

        @ Asphodèle : oui, la confusion des genres provoque un malaise chez le lecteur.

  8. noukette dit :

    Ce livre me fait peur je crois… Il est sur mes étagères depuis sa sortie, je n’ai toujours pas franchi le pas !

    1. Gwenaëlle dit :

      @ Noukette : c’est un récit assez lourd. Trop même…

  9. Nanou dit :

    J’ai bien aimé ce livre, sans doute parce que la maladie maniaco-dépressive m’intéresse, car elle est présente dans ma famille. J’ai donc un à priori favorable à tout ce que je peux lire sur le sujet, surtout si c’est le fils ou la fille du malade qui s’exprime. Mais je comprends que le côte impudique de l’histoire puisse gêner. Delphine de Vigan a écrit aussi sur l’anorexie dont elle a souffert, Jours sans faim, sous un pseudonyme dans un premier temps. Là aussi, c’est un récit très personnel qui peut déranger.

    1. Gwenaëlle dit :

      @ Nanou :oui, elle parle de ce roman sur l’anorexie dans Rien ne s’oppose. Ce qui me dérange, ici, c’est le mélange des genres…

  10. sylire dit :

    Moi aussi j’ai beaucoup aimé ce livre. Il m’a même bouleversée me faisant penser à l’amie que que j’ai perdue et qui avait le profil de Lucile. Je ne vois pas Delphine de Vigan comme quelqu’un de narcissique. J’ai lu plusieurs ouvrages d’elle, j’aime sa sensibilité.

    1. Gwenaëlle dit :

      @ Sylire : d’elle, j’ai bien aimé No et moi et dans une moindre mesure Les heures souterraines. Dans Rien ne s’oppose à la nuit, le sens de sa démarche me parait excessivement privé. Etait-il vraiment besoin d’en faire un livre? Le roman de M. Sizun, sur le même sujet, m’avait plu davantage, parce que focalisé uniquement sur cette relation mère-fille empoisonnée par la maladie et moins complaisant dans le déballage intime.

  11. sylire dit :

    Je pense qu’on peut partager ce genre d’expérience avec d’autres. Je n’y vois pas de déballage intime. Elle mets des mots sur ce que d’autres ont pu vivre sans savoir l’exprimer. J’ai trouvé son roman fort bien écrit, très profond mais bien entendu, je respecte ton avis.

    1. Gwenaëlle dit :

      @ Sylire : nos goûts nous portent souvent vers les mêmes livres mais là, je crois que c’est le divorce! 😉 Je pense que la divergence de vues fait tout l’intérêt de la littérature. Elle est la preuve que nous ne sommes pas touchés par les mêmes choses, que nous sommes tous différents, et au-delà du désaccord formel, j’y vois une grande source de richesse! Bon week-end Sylire!

  12. sylire dit :

    Ouf, on est toujours copines : 😉

  13. liliba2 dit :

    J’avais adoré. Mais c’est bien la seule auteur dont je supporte de lire les autobios nombriliques, qui ont tendance à totalement m’insupporter chez les autres. D’où vient cette mode très française des auteurs qui se regardent le nombril et touillent en public leurs problèmes familiaux ? Normalement, je déteste, mais l’écriture de Vigan à pour moi quelque chose de magique, elle me touche toujours…

    1. Gwenaëlle dit :

      @ Liliba : tu fais partie des fans alors! 🙂

  14. N’ayant pas lu le livre je suis bien empêchée pour participer au débat. Disons que certains auteurs touchent à l’universel quand ils parlent d’eux-mêmes, de leur famille (d’où le grand nombre de récits sur l’enfance qui ne sont pas caractéristiques de la littérature française) mais.. cela dépend du talent!

    1. Gwenaëlle dit :

      @ Claudialucia : en fait, je crois que j’ai eu ma dose de récits sur la famille…

  15. jerome dit :

    J’ai envie de te suivre les yeux fermés. ce genre d’histoire de famille, très peu pour moi.

    1. Gwenaëlle dit :

      @ Jérôme : me suivre les yeux fermés… ouh, tu prends des risques! ;-)))

  16. valmleslivres dit :

    J’ai été agacée par ce roman, et l’amertume dont tu parles m’a longtemps poursuivie. De nombreux éléments m’ont gênée.

    1. Gwenaëlle dit :

      @ Valmleslivres : oui, c’est très noir, cette histoire familiale quand on prend du recul.

  17. clara dit :

    Je rejoins les avis de Sylire et de Saxaoul…

    1. Gwenaëlle dit :

      @ Clara : je crois que rappeler que tu avais bien aimé, effectivement.

  18. ohoceane dit :

    Je ne suis pas amatrice de littérature témoignage, mais ce récit je l’ai aimé, adoré, lu et relu, peut-être parce que je me sentais proche de la mère de l’auteur, sur la même ligne de faille, et puis j’ai aimé le style, le ton justement, l’amour qui se dégageait malgré tout de chaque ligne. Un très joli moemnt de lecture.

    1. Gwenaëlle dit :

      @ Océane : je pense qu’il y a beaucoup de gens qui ont aimé ce livre. L’expérience des autres peut se révéler très instructive.

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