Dedans

Poursuivant ma découverte de la jeune littérature italienne, je me suis plongée dans le roman de Sandro Bonvissuto, Dedans. C’est le premier roman publié de l’auteur, né en 1970, qui vit et travaille à Rome.

Ce qui frappe, dès les premières lignes, c’est le style. A la fois percutant et épuré. Qui ne sombre jamais dans une forme de complaisance, mais sait décrire avec justesse la vie et le destin des plus misérables.

Le roman se déroule en trois parties, trois temps de la vie du narrateur, qui remonte du présent vers le passé. Le présent, c’est cette détention dont il fait l’objet. On n’en saura pas la raison, juste la réalité acide de ce quotidien très particulier dans lequel les circonstances l’ont plongé. Ce qui reste de la vie en prison, les compagnons de chambre, le déroulement particulier des journées, et omniprésents, les murs.

Je compris alors la chose suivante : le mur est le plus épouvantable instrument de violence existant. Il n’a jamais évolué parce qu’il est né parfait. Et on ne s’aperçoit de toute sa puissance que quand on voit un mur en fonction. Parce que tous les murs ne fonctionnent pas ; ceux que nous rencontrons dans la vie de tous les jours, par exemple, ne sont pas des vrais murs. Ils s’interrompent, ou bien ils ont des portes, bref on peut d’une manière ou d’une autre les contourner ou les traverser. Ils sont comme des bombes désamorcées. Des murs à blanc. Ceux qui sont dedans, non. Ils fonctionnent. Et bien. Il n’y a rien qui vous tue comme un mur. Le mur fait la paire avec des obsessions internes, des choses humaines, plus anciennes que la peur. Malgré les apparences, le mur n’est pas fait pour agir sur votre corps ; si vous ne le touchez pas, il ne vous touche pas. Il est conçu pour agir sur la conscience. Parce que le mur n’est pas une chose qui fait mal ; c’est une idée qui fait mal. Il vous détruit sans même vous effleurer.

La seconde partie s’attache au récit d’une amitié fusionnelle entre le narrateur et son premier voisin de pupitre au collège. La dernière, la plus émouvante à mes yeux, s’intitule « Le jour où mon père m’a appris à faire de la bicyclette ». La vie à hauteur d’enfant s’y déploie dans toute sa fragilité obstinée, avec un humour certain.

Je le [mon père] trouvai tout de suite. De toute manière, il était déjà encombrant à cette époque. C’est une des images les plus nettes et les plus définitives que j’aie de lui. Il était assis à table ; c’était sa manière de passer les congés d’été. Peut-être qu’il ne se levait même pas de là entre le déjeuner et le dîner. Il était en train de jouer aux cartes avec des amis, et il ne semblait pas avoir l’allure d’un expert des choses qui bougent. Au contraire, je n’avais jamais vu de ma vie une chose vivante aussi immobile. Il appartenait peut-être à un genre ornemental, par ailleurs d’un goût douteux. Mon père ; c’était qui celui-là? J’avais entendu parler de lui et, quelquefois, je devais aussi l’avoir aperçu à la maison. Un être énigmatique, dont j’avais du mal à comprendre le sens.

Réflexion sur le temps, la liberté et la construction d’un homme, ce Dedans est un roman dense et profond, qui décrit sans fard une certaine réalité sociologique, parfois tragique, mais sans jamais oublier de faire la part belle à la vie, à l’humour et à l’espoir. Un auteur plein de promesses, que je vais suivre de près…

Dedans, Sandro Bonvissuto, éditions Métailié.

4 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. aifelle dit :

    Belle couverture de Métailié ! L’extrait sur son père donne envie d’en lire davantage.

    1. Gwenaëlle dit :

      Un style qui mérite vraiment toute notre attention…

  2. Il a l’air intéressant. Je ne connais pas cet auteur, je vais chercher un peu.

    1. Gwenaëlle dit :

      C’est son premier roman. La structure m’a un peu dérangée, mais j’ai adoré l’écriture, le style. À suivre de près, je pense…

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