Un jardin sur le ventre

Les billets de Sylire et de Clara, entre autres, m’avaient donné envie de lire ce livre. Je n’ai pas eu à me fatiguer beaucoup pour le trouver : il était à la médiathèque. Il faut dire qu’à DZ, on a une très bonne médiathèque, pleine de bibliothécaires sympathiques et toujours d’accord pour discuter de leurs coups de cœur…

Sur la boussole des émotions, ce roman de Fabienne Berthaud se situe, pour moi, entre La femme de l’Allemand, de Marie Sizun et Le crieur de nuit, de Nelly Alard. Lorsque l’histoire débute, Suzanne, soixante-dix ans, entame sa dernière soirée avec son mari. On comprend très vite qu’entre elle et lui, il n’y a jamais eu beaucoup d’amour. Plutôt de la soumission et de l’abus de pouvoir. Après une tête de veau que Suzanne mange uniquement pour faire plaisir à son mari et ne pas déclencher une de ses redoutables colères, elle a un accident vasculaire cérébral et s’éteint en quelques heures.

Ce décès brutal est alors l’occasion pour sa fille Gabrielle de passer en revue la vie de sa mère. Une vie pas vraiment rose… Abandonnée par Bertrande, sa génitrice, élevée un temps par sa grand-mère et par sa tante puis récupérée par celle qui l’a mise au monde pour être ensuite placée en pension, Suzanne vit une enfance faite d’arrachements successifs. Elle connait quelques années de bonheur avec sa Mémère et longtemps il lui faudra sucer ces doux souvenirs jusqu’à la mœlle car elle n’en aura pas d’autres. Négligée, humiliée, battue parfois, elle apprend peu à peu à se blinder, à se protéger de ses propres émotions. Et quand un petit frère parait, elle essaie tant bien que mal de le prendre sous son aile, de lui donner le peu d’amour que son aïeule a réussi à lui transmettre.

Dans ces conditions, le lecteur ne s’étonne pas qu’elle tombe amoureuse d’un homme qui se révèle très vite être un pervers narcissique : égoïste, volage, violent, manipulateur… Mais parce qu’elle a deux filles et que l’existence de SA famille lui semble plus importante que tout – pour elle qui n’en a jamais eue -, elle se soumettra toujours à cet homme et le le quittera pas…

C’est un roman plein d’émotion mais également d’une grande tristesse. J’ai été sensible à la détresse rentrée de cette femme, à ses efforts surhumains pour ne pas reproduire ce qu’elle avait subi et tenter d’aimer le mieux possible ses enfants. Je l’ai trouvée emblématique de ces épouses qui, parce que leur éducation les a réduites à rien, ne trouvent jamais la force ni le courage de sortir de cette prison que, de l’extérieur, d’aucuns appellent « amour »… J’ai été étonnée, par contre, que les filles ne se montrent pas plus pugnaces vis à vis de leur père et que Gabrielle, notamment, se coule si facilement dans le rôle de sa mère… J’aurais aimé qu’elles trouvent la force de régler quelques comptes…

Un jardin sur le ventre, Fabienne Berthaud, JBZ Editions

14 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. Aifelle dit :

    Je sens qu’il n’est pas pour moi .. je m’énerverais bêtement.

    1. Gwenaëlle dit :

      @ Aifelle : oui, je comprends ce que tu veux dire! 😉

  2. Amélie dit :

    j’avais bien aimé aussi… mais c’est vrai que c’est très triste…

    1. Gwenaëlle dit :

      @ Amélie : tu avais fait un billet? Donne moi le lien, je l’ajouterai à la fin de mon billet, si tu veux…

  3. Un beau roman, donc. C’est vrai que les filles appartenant à une autre génération aurait pu éviter de reproduire le schéma de la mère. Mais c’est négligé la force de l’éducation et les millénaires de soumission qui pèsent encore sur les femmes qui sont souvent moins libérées que ce que l’on veut bien le croire!

    1. sylire dit :

      J’aurais aimé également que les filles se rebellent mais je sais que ce n’est pas si simple.
      C’est une lecture qui m’a bouleversée.

      1. Gwenaëlle dit :

        @ Sylire : je n’ai pas été bouleversée mais très touchée quand même par cette histoire. On évoque le phénomène de génération mais il n’y a pas que ça. J’ai connu une jeune femme, plus jeune que moi, qui a un peu la même vie que le personnage… Et tout vient de l’enfance, du manque total et absolu d’amour, du mépris de la mère. Pour moi, ces femmes sont littéralement « cassées » et incapables de surmonter, à moins de trouver beaucoup, beaucoup d’aide et d’amour ailleurs, peut-être…

    2. Gwenaëlle dit :

      @ Claudialucia : exactement. Et de même pour cette femme, sa passivité peut paraître incompréhensible mais quand on sait quelle sorte d’éducation elle a reçu, on comprend qu’elle ne pouvait pas vraiment agir autrement…

  4. clara dit :

    J’ai été chamboulée par ce livre…

    1. Gwenaëlle dit :

      @ Clara : c’est bien ce qu’il m’avait semblé à la lecture de ton billet… 🙂

  5. Asphodèle dit :

    Il m’évoque beaucoup les nouvelles de Patrice Juiff que j’ai lues il y a deux mois environ, La Taille d’un ange. Le poids de la misère répétée à chaque génération, misère sociale et souvent affective. Quand on n’a pas eu les clés au départ, il y a des portes qui ne s’ouvrent jamais pour certains. Je le note !!

    1. Gwenaëlle dit :

      @ Asphodèle : je ne connais pas l’auteur dont tu parles mais s’il s’agit de nouvelles, ça m’intéresse… Je note aussi! 😉

  6. Manu dit :

    Un roman que j’ai envie de lire, mais quand je me sentirai prête. Quand je lis le résumé, je ne peux m’empêcher de trouver certaines similitudes avec une personne chère à mon cœur.

    1. Gwenaëlle dit :

      @ Manu : je comprends… Tu as parfaitement raison, c’est une histoire un peu « raide », il faut être dans un bon état d’esprit.

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